INFORMATION • En juillet dernier, l’ancien Premier ministre français Manuel Valls s’est engagé dans une mission diplomatique controversée au Bahreïn, dans un contexte mêlant géopolitique, accusations de corruption et intérêts financiers. Cette opération, qui lui a rapporté 30 000 euros selon les révélations de Mediapart, soulève des interrogations sur la reconversion des anciens responsables politiques et leurs implications éthiques.
Après un éloignement des responsabilités politiques depuis son échec électoral de 2022, Manuel Valls a réorienté sa carrière vers des missions de conseil pour des gouvernements étrangers. Cette reconversion, cependant, semble naviguer en eaux troubles.
Une mission au service du Bahreïn
L’objectif de cette mission était clair : contester une décision de la Cour internationale de justice (CIJ) rendue en 2001. Ce jugement avait attribué une partie des eaux territoriales disputées autour des îles Hawar au Qatar, au détriment du Bahreïn. Mandaté par une délégation orchestrée par Philippe Feitussi, avocat proche de la famille royale bahreïnie, Manuel Valls a été chargé de défendre les intérêts du royaume.
Pourtant, cette mission soulève plusieurs interrogations. L’ancien Premier ministre n’a pas d’expertise en droit international ni en géopolitique du Golfe. Il était chargé, entre autres, d’expliquer aux autorités bahreïnies l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier (PNF) sur des soupçons de corruption touchant des juges de la CIJ. Loin d’une démarche purement technique, sa mission semble s’inscrire dans une stratégie politique visant à renforcer l’influence du Bahreïn dans ses différends régionaux.
Une rémunération et des financements opaques
Les dessous financiers de cette affaire ne sont pas moins controversés. Les 30 000 euros versés à Manuel Valls proviennent d’une société offshore basée à Hong Kong, Queen Capital International Limited. Cette entité, aux propriétaires anonymes, alimente les soupçons sur la nature réelle de cette opération. Selon les informations de Mediapart, les fonds auraient été mobilisés pour des « considérations morales » contre la corruption, une justification qui reste à démontrer.
Philippe Feitussi, orchestrateur de cette stratégie judiciaire, a également collaboré avec un cabinet d’intelligence français. Celui-ci a produit un rapport volumineux affirmant que des juges de la CIJ, dont l’Algérien Mohammed Bedjaoui, auraient été corrompus en faveur du Qatar. Les preuves avancées, obtenues via des techniques controversées comme le hacking, posent des questions sur la légitimité des moyens employés.
La France dans une position ambiguë
L’affaire ne se limite pas à Manuel Valls. Philippe Latombe, député du MoDem, a été sollicité par Feitussi pour adresser deux signalements au PNF en 2022 et 2023. Ces signalements, rédigés par l’avocat, évoquent des faits présumés de corruption et de blanchiment, mais leur pertinence et la légitimité de l’implication de Latombe restent floues. Pourquoi un élu français sans expertise particulière s’est-il impliqué dans une affaire aussi complexe et sensible ? Cette question alimente le doute sur la transparence de cette initiative.
En parallèle, le rôle de Manuel Valls intrigue. Bien qu’il perçoive une indemnité d’ancien Premier ministre, estimée à 142 599 euros en 2023, sa participation dans cette opération semble aller au-delà d’un simple rôle consultatif. Cherchait-il à renforcer ses relations dans le Golfe, ou s’agissait-il d’un enjeu financier personnel ? Ces zones d’ombre entachent sa reconversion.
Un dossier révélateur de conflits d’intérêts
L’affaire s’inscrit dans un contexte diplomatique tendu. Après des années de rupture, le Bahreïn a rétabli ses relations avec le Qatar en 2023, réduisant l’intérêt stratégique de cette mission. Pourtant, Feitussi semble déterminé à maintenir la pression médiatique, notamment en mobilisant des figures controversées comme Tayeb Benabderrahmane, un homme d’affaires également impliqué dans des affaires judiciaires.
Cette opération met en lumière les interconnexions complexes entre intérêts privés, diplomatie et justice. Les motivations réelles des différents acteurs, notamment celles de Manuel Valls, demeurent floues. Plus largement, l’affaire soulève une problématique récurrente : la reconversion des anciens responsables politiques. Jusqu’où peuvent-ils s’engager dans des affaires mêlant enjeux internationaux et intérêts financiers sans compromettre leur éthique ?
Comment #Valls a relancé le business sécuritaire avec la dictature du Bahreïn revoir l’extrait de #cashinvestigation @manuelvalls @jpcanet pic.twitter.com/MmOWvevle9
— Benoît Bringer (@BenoitBringer) January 23, 2017
Une image publique en question
Si Manuel Valls n’a pas répondu aux sollicitations de Mediapart, son implication dans cette affaire alimente les critiques. Elle reflète une tendance plus large : celle d’anciens responsables politiques utilisant leur influence pour des activités privées, souvent controversées. Pour le public, ces reconversions jettent une ombre sur la confiance envers les institutions et renforcent la perception d’un système politique étroitement lié aux intérêts des élites économiques.
Alors que la justice française continue d’enquêter sur les accusations de corruption à la CIJ, cette mission révèle les tensions sous-jacentes entre éthique, transparence et pouvoir. À l’heure où l’indépendance de la justice est mise à l’épreuve, le rôle de figures publiques comme Manuel Valls dans des affaires aussi opaques ne peut qu’accentuer les doutes sur l’intégrité de la sphère politique.