INFORMATION • Le Sénat a récemment voté une mesure visant à augmenter la TVA sur les eaux en bouteille plastique, faisant passer le taux de 5,5 % à 20 %. Cette décision intervient dans un contexte de révélations accablantes sur les pratiques des industriels de l’eau minérale, notamment celles de Nestlé Waters, et soulève des enjeux écologiques, sanitaires et économiques. Mais au-delà de l’apparente volonté de responsabiliser les consommateurs et les entreprises, cette mesure questionne les priorités politiques et les véritables bénéficiaires de cette réforme fiscale.
Une réponse au scandale Nestlé Waters
L’affaire a éclaté début 2024 : des traitements de désinfection interdits, utilisés par Nestlé Waters, ont été mis au jour, mettant en lumière l’hypocrisie des discours sur la pureté des eaux minérales. Ces pratiques, dénoncées par une commission d’enquête sénatoriale, révèlent une vérité dérangeante : l’eau en bouteille n’est pas aussi naturelle qu’elle le prétend. Ces révélations ont provoqué une indignation légitime, incitant le Sénat à agir pour restaurer une certaine forme de justice environnementale et fiscale.
Mais cette mesure est-elle réellement dirigée contre les industriels ou cherche-t-elle à punir les consommateurs ? Tandis que les grandes entreprises continuent de profiter de l’exploitation des ressources naturelles à bas coût, ce sont les ménages modestes, souvent captifs de ces produits, qui risquent de payer le prix fort.
Une fiscalité qui manque sa cible ?
La hausse de la TVA est présentée comme un levier incitatif pour encourager la consommation d’eau du robinet, une solution économique et écologique. Cependant, le ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, s’oppose à cette vision, arguant que la TVA n’est pas un outil fiscal comportemental. Cette critique soulève une question de fond : pourquoi l’État mise-t-il sur une taxe indirecte, qui frappe indistinctement tous les consommateurs, plutôt que sur des mesures contraignantes pour les industriels responsables de ces dérives ?
La sénatrice écologiste Nadège Havet, à l’origine de l’amendement, a défendu cette mesure en invoquant des arguments environnementaux solides. L’impact carbone des eaux en bouteille est bien supérieur à celui de l’eau du robinet, avec des émissions 2 023 fois plus importantes par litre. Pourtant, la taxation, même justifiée, ne résout pas le problème structurel : la surexploitation des nappes phréatiques par les multinationales et l’absence de contrôle rigoureux sur leurs pratiques.
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Un autre aspect troublant réside dans le profil des consommateurs d’eau en bouteille. Selon le sénateur Hervé Gillé, ces produits sont majoritairement consommés par des familles aisées, qui pourraient absorber l’augmentation de la TVA sans modifier leurs habitudes. Ce constat met en lumière l’inefficacité de la mesure à toucher sa cible. Paradoxalement, ce sont les ménages modestes, souvent privés d’un accès de qualité à l’eau du robinet, qui subiront le plus durement cette hausse.
Face à ce constat, des solutions alternatives auraient pu être envisagées. Pourquoi ne pas imposer des quotas de prélèvement aux industriels ou taxer directement leurs profits, plutôt que de faire porter le fardeau fiscal aux consommateurs ? Une approche plus radicale, comme la nationalisation des ressources en eau, garantirait une gestion équitable et durable, tout en protégeant ce bien commun essentiel des appétits privés.
Des recettes pour qui ?
Les sénateurs estiment que la mesure pourrait rapporter entre 150 et 300 millions d’euros par an. Mais les affectations proposées par Nadège Havet, bien qu’en partie orientées vers des projets écologiques et éducatifs, restent floues. Une part modeste des recettes serait destinée à l’accompagnement des élus locaux pour la rénovation des écoles, tandis que d’autres iraient à la réduction du déficit public.
Ce fléchage laisse un goût amer : la lutte écologique est-elle un prétexte pour alimenter les caisses de l’État, sans garantie de résultats concrets ? Dans un contexte où les agences de l’eau peinent déjà à financer le « grand plan eau », promis par le gouvernement, cette réforme semble manquer de cohérence. Les moyens nécessaires à la protection des aires de captage, essentiels pour préserver les ressources naturelles, restent insuffisants.
Une réforme menacée par le 49.3
Enfin, le sort de cet amendement pourrait être scellé par le recours au 49.3, permettant au gouvernement de choisir les mesures retenues dans le texte final. Ce scénario, qui illustre une fois de plus le mépris des institutions pour le débat démocratique, risque d’annuler les avancées votées par le Sénat. Une décision qui révélerait le double discours d’un gouvernement prétendant agir pour l’écologie, tout en protégeant les intérêts des multinationales.
La hausse de la TVA sur l’eau en bouteille, bien qu’elle réponde à des enjeux environnementaux et fiscaux urgents, demeure insuffisante et inéquitable. Plutôt que de taxer les consommateurs, une vraie réforme écologique impliquerait de s’attaquer aux géants de l’agroalimentaire, responsables des dérives dénoncées. Ce scandale souligne la nécessité de repenser en profondeur la gestion des ressources naturelles, en plaçant l’intérêt collectif au cœur des politiques publiques. Une ambition qui ne pourra être réalisée sans une remise en question radicale du rôle des entreprises privées dans l’exploitation des biens communs.