INFORMATION • Lors de son passage à Rio de Janeiro, Emmanuel Macron a déclenché une vive polémique après des déclarations fracassantes sur la situation en Haïti. Interrogé par un ressortissant haïtien sur le rôle de la France dans la crise qui secoue le pays, le président français a répondu avec une brutalité inhabituelle, accusant le peuple haïtien d’avoir « tué » son propre pays en « laissant prospérer le narcotrafic ». Ces propos, relayés par le média Off Investigation, ont suscité une indignation immédiate, non seulement en Haïti, mais aussi dans les cercles diplomatiques internationaux.
En rajoutant que la destitution récente du Premier ministre haïtien, Garry Conille, était une décision « complètement conne », Macron a jeté de l’huile sur le feu. Ces paroles, tenues sur un ton agacé et informel, traduisent une forme de mépris qui alimente les critiques récurrentes sur l’arrogance des dirigeants français face à leurs anciens territoires coloniaux.
Une rhétorique agressive qui masque une responsabilité historique
Le ton employé par Emmanuel Macron ne peut être analysé indépendamment du rôle historique de la France en Haïti. Ancienne colonie française, le pays a dû payer un tribut exorbitant à son ancien maître après son indépendance en 1804, une dette qui a hypothéqué son développement économique pendant plus d’un siècle. En attribuant les maux actuels d’Haïti à ses habitants, le président français semble effacer d’un trait les responsabilités de la France dans la fragilité structurelle de cette nation.
De telles déclarations s’inscrivent dans une logique paternaliste qui n’est pas nouvelle dans les relations franco-haïtiennes. Cette approche, teintée de condescendance, minimise les luttes du peuple haïtien face à des décennies d’interventions étrangères mal calibrées et souvent motivées par des intérêts géopolitiques ou économiques.
L’instabilité chronique d’Haïti : un fardeau collectif
Le limogeage du Premier ministre Garry Conille, critiqué par Macron, illustre l’instabilité politique chronique d’Haïti. Malgré le soutien international massif, Conille n’a pas pu enrayer la montée en puissance des gangs qui contrôlent désormais près de 80 % de Port-au-Prince. Les violences ont forcé des centaines de milliers de personnes à fuir, créant une crise humanitaire que la communauté internationale semble incapable d’endiguer.
Mais là encore, accuser uniquement les dirigeants haïtiens revient à occulter les échecs répétés des missions internationales. La récente initiative conduite par le Kenya, avec le déploiement de 400 hommes pour renforcer la police haïtienne, témoigne des limites des solutions militaires face à des problèmes profondément enracinés dans les inégalités sociales et économiques.
Une diplomatie qui divise
Alors qu’il était attendu pour renforcer les relations avec l’Amérique latine dans le cadre du traité de libre-échange du Mercosur, Emmanuel Macron s’est attiré de nombreuses critiques pour son manque de sensibilité diplomatique. En déclarant que « les Haïtiens le méritent », lorsqu’il évoquait le soutien de la France, Macron laisse entendre une hiérarchisation implicite des mérites entre les nations, un discours qui ne peut que raviver les accusations de néo-colonialisme.
Les mots du président français ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. À Port-au-Prince, les observateurs dénoncent une ingérence internationale déguisée en aide humanitaire, tandis qu’à Paris, certains pointent la maladresse d’un chef d’État qui semble incapable d’incarner une vision respectueuse et solidaire des relations internationales.
Une crise qui exige une approche radicalement différente
Pour résoudre la crise haïtienne, il est impératif d’abandonner les discours simplistes et accusateurs. Le chaos qui règne dans ce pays n’est pas uniquement le produit d’erreurs locales, mais bien d’une confluence de facteurs : un héritage colonial écrasant, une exploitation économique systémique, et des interventions internationales souvent inefficaces. Une solution durable nécessitera des investissements massifs dans les infrastructures, l’éducation, et la santé, ainsi qu’un appui sans ingérence aux initiatives locales.
En continuant de stigmatiser les Haïtiens, Emmanuel Macron s’éloigne de la responsabilité historique de la France et sape les efforts diplomatiques pour construire des relations équilibrées et mutuellement respectueuses. Ce moment polémique doit servir de leçon pour repenser les discours et actions vis-à-vis des nations en difficulté, avec pour principe directeur une solidarité véritable, dépourvue de condescendance.
???« Ils sont complètement cons » : #Macron estime que «ce sont les Haïtiens qui ont tué Haïti»
— Off Investigation (@Offinvestigatio) November 21, 2024
??Son entourage dénonce une « vidéo tronquée » [@RFI]
??Repost : Macron interpellé sur le pillage historique d’Haïti par la France :
??https://t.co/pAfdAWCeXnpic.twitter.com/sOs9yZYwYS
Emmanuel Macron, symbole des limites d’une diplomatie déconnectée
Les propos tenus par Emmanuel Macron à Rio de Janeiro sont révélateurs des failles structurelles de la politique étrangère française. En privilégiant une posture autoritaire et moralisatrice, le président français compromet la crédibilité d’un pays qui prétend pourtant défendre les valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité. Si la France souhaite jouer un rôle constructif en Haïti, elle devra d’abord reconnaître son propre rôle dans les crises passées et présentes, tout en proposant des solutions adaptées aux besoins réels du peuple haïtien.
Une autre voie est possible. Mais elle exigera un changement radical, non seulement dans les discours, mais aussi dans les actes.