Répression et silence : les journalistes en première ligne dans les conflits

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Tony HOUDEVILLE

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INFORMATION • Les conflits armés ne se limitent plus aux seuls champs de bataille. Aujourd’hui, la guerre touche également les journalistes, ces témoins essentiels qui risquent leur vie pour rendre compte des horreurs et des violations des droits humains. En Israël et dans les territoires occupés, les intimidations, arrestations arbitraires, actes de torture et attaques ciblées sont devenus des outils répressifs utilisés contre ceux qui tentent d’informer le monde sur la situation. Plusieurs journalistes palestiniens ont été directement visés par les militaires israéliens, comme l’illustre le cas de Diaa al-Kahlot, dont l’histoire a été recueillie par Mediapart.

Un témoin transformé en victime

Journaliste palestinien, Diaa al-Kahlot couvrait les événements à Gaza depuis deux mois lorsqu’il est soudainement passé de témoin à victime. Le 7 décembre 2023, sa vie bascule. Tôt ce matin-là, les forces israéliennes encerclent la maison familiale à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza. Les soldats ordonnent aux hommes de la maison, par haut-parleurs, de se déshabiller partiellement et de descendre dans la rue. Ils sont rapidement rassemblés, puis entassés dans des camions pour être transportés à la base militaire de Zikim.

Sur place, Diaa est contraint de s’agenouiller sur le sable, les yeux bandés et les poignets menottés, et subit des interrogatoires violents sur ses activités journalistiques. Les militaires israéliens le questionnent sur un article qu’il a publié en 2018 à propos d’une attaque israélienne à Khan Younès. Malgré ses explications sur la nature de son travail, qui nécessite de contacter toutes les parties impliquées dans le conflit, les insultes et les coups s’intensifient. Les soldats le qualifient de terroriste et finissent par lui bander la bouche avec du ruban adhésif pour le faire taire.

Un cauchemar prolongé sans inculpation

Diaa al-Kahlot subit douze heures d’interrogations continues dans le froid, presque dénudé. Son calvaire ne s’arrête pas là. Il est ensuite transféré au camp militaire de Sde Teiman, un lieu tristement surnommé le « Guantánamo israélien ». Durant 33 jours, il y est détenu sans inculpation formelle. Comme pour beaucoup d’autres Palestiniens arrêtés lors de cette vague répressive, aucune charge ne sera retenue contre lui, et il ne rencontrera jamais de juge.

Durant son emprisonnement, Diaa est soumis à plusieurs interrogatoires supplémentaires, toujours centrés sur ses activités de journaliste. Il décrit les conditions inhumaines de sa détention : des menottes permanentes, des yeux bandés et même des restrictions quant aux moments où il pouvait se rendre aux toilettes. À la fin de son calvaire, il est relâché sans explication, marqué à jamais par cette expérience traumatisante.

Détentions, torture et résistance des journalistes

Le cas de Diaa al-Kahlot n’est pas isolé. Depuis le 7 octobre 2023, les journalistes à Gaza subissent une répression accrue. La coupure des services essentiels comme l’internet, les télécommunications et l’électricité complique considérablement leur travail. Pourtant, malgré ces entraves, les journalistes continuent de rapporter les faits, souvent au péril de leur vie. Leurs conditions de travail sont désespérément minimales, mais ils s’obstinent à témoigner des horreurs qui se déroulent autour d’eux.

Les arrestations et la torture des journalistes ne se limitent pas à Gaza. En Cisjordanie occupée, les incursions des forces israéliennes se multiplient, et les journalistes qui tentent de documenter ces événements sont souvent la cible d’attaques. Au cours des derniers mois, plusieurs reporters ont été blessés alors qu’ils couvraient des opérations militaires. Certains d’entre eux portaient pourtant des gilets pare-balles clairement identifiés « Press ».

Le calvaire de Moath Amarneh

L’histoire de Moath Amarneh, journaliste pour Al Jazeera Mubasher, illustre parfaitement l’intensification de la répression contre la presse. Le 16 octobre 2023, des forces spéciales israéliennes font irruption dans sa maison située dans le camp de réfugiés de Dheicheh, à Bethléem. Après avoir fait exploser la porte d’entrée devant ses enfants, ils l’emmènent de force. Bien qu’un juge ordonne sa libération, il est maintenu en détention sous le régime de la détention administrative, un système qui permet à Israël d’incarcérer des personnes sans charges pour une durée de six mois, renouvelable.

Pendant sa détention, Amarneh est privé de soins médicaux essentiels, notamment de la prothèse oculaire qu’il utilise depuis qu’il a perdu un œil à cause d’un tir de l’armée israélienne en 2019. Battu à plusieurs reprises, il décrit des conditions de détention insoutenables. Finalement, après six mois, un juge lui propose la libération à condition qu’il renonce à son travail de journaliste, une condition qu’il accepte à contrecœur. Pourtant, son emprisonnement est prolongé de quatre mois supplémentaires.

Un bilan alarmant pour la liberté de la presse

Le Comité de protection des journalistes (CPJ) a recensé, en octobre 2024, 69 arrestations de journalistes dans les territoires occupés et à Jérusalem depuis le début des hostilités. Parmi eux, 43 sont encore détenus, souvent sans motif clair. Les autorités israéliennes, quant à elles, persistent à affirmer que les journalistes ne sont pas visés pour leur travail mais parce qu’ils seraient impliqués dans des « activités terroristes ».

Cette justification est loin de convaincre les organisations de défense de la liberté de la presse, qui dénoncent les violations systématiques des droits des journalistes et l’utilisation de la répression comme moyen de dissuasion contre ceux qui veulent exposer la vérité.

La peur gagne le Liban

Le climat de peur s’étend au-delà des frontières de Gaza et de la Cisjordanie. Au Liban, les journalistes craignent également pour leur sécurité, surtout depuis que plusieurs d’entre eux ont été tués dans le sud du pays lors d’incidents attribués à l’armée israélienne. L’impunité avec laquelle ces actes sont commis fait peser une menace constante sur les professionnels de l’information.

Elissar Koubeissi, membre d’une ONG internationale qui soutient les journalistes, témoigne des conditions extrêmement difficiles auxquelles sont confrontés ses confrères libanais. Malgré les risques et l’absence de protection, les journalistes libanais continuent de documenter les souffrances de la population, tout en veillant à la sécurité de leurs propres familles. L’engagement et la résilience des journalistes, bien qu’affaiblis par l’insécurité, demeurent essentiels pour rendre compte des réalités brutales de la région.

La mission d’informer : un acte de courage

Dans des contextes aussi violents que ceux de Gaza, de la Cisjordanie ou du Liban, être journaliste n’est pas seulement un métier, c’est un acte de bravoure. Ceux qui persistent à informer, malgré les risques énormes, sont essentiels pour maintenir une fenêtre ouverte sur les conflits qui ravagent ces territoires. Leur voix ne doit pas être réduite au silence, car ils incarnent la résistance contre la répression et le refus de laisser les violations des droits humains sombrer dans l’oubli.

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