L’Union européenne adopte une loi pour encadrer les travailleurs de plateformes numériques

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Tony HOUDEVILLE

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INFORMATION • Ce lundi 14 octobre, les 27 États membres de l’Union européenne ont unanimement approuvé une nouvelle législation destinée à améliorer les conditions des travailleurs des plateformes numériques, telles que Uber et Deliveroo. Cette initiative vise à requalifier de nombreux travailleurs, actuellement considérés comme indépendants, en salariés, notamment les chauffeurs et livreurs.

L’objectif de cette directive est de corriger une lacune majeure dans le modèle économique des plateformes, qui emploient des millions de personnes à travers l’Europe. En leur conférant un statut de salarié, ces travailleurs pourront bénéficier des protections sociales fondamentales, telles que l’accès à la sécurité sociale, aux congés payés ou encore à une couverture en cas d’accident de travail. Toutefois, les détails précis de la mise en œuvre de ces requalifications demeurent encore flous. En effet, les modalités d’application varieront selon les réglementations nationales, alors même que cette directive avait pour but de mettre en place un cadre harmonisé au niveau européen.

Des modalités d’application encore incertaines

La directive adoptée par l’UE devra être publiée dans le Journal ficiel avant de pouvoir entrer en vigueur. Une fois cette étape franchie, les États membres disposeront de deux ans pour transposer cette nouvelle législation dans leurs droits nationaux. Cependant, les modalités d’application, qui sont laissées à la discrétion des États, soulèvent des questions. Chaque pays pourra ainsi adapter les critères de requalification en fonction de son propre cadre juridique et social, ce qui pourrait engendrer des disparités d’un État à l’autre.

Le Parlement européen avait déjà largement validé ce texte en avril dernier, à l’issue de négociations difficiles entre les gouvernements des États membres et les représentants du Parlement européen. Ces discussions, qui ont eu lieu en mars, se sont déroulées dans un climat de tension, marqué par un lobbying intense de la part des entreprises concernées. Ces dernières ont en effet fait pression pour limiter les requalifications et conserver le modèle d’emploi flexible qui leur est favorable.

Un vaste mouvement de requalification

Selon les estimations de la Commission européenne, cette nouvelle directive pourrait affecter environ 5,5 millions de travailleurs de plateformes à travers l’Union européenne. Actuellement, sur un total de près de 30 millions de travailleurs, beaucoup sont enregistrés comme indépendants, ce qui les prive des avantages sociaux associés au statut de salarié. La requalification de ces travailleurs en tant qu’employés leur permettra d’accéder à des droits et à des protections dont ils étaient jusqu’alors exclus, notamment en matière de retraite, d’assurance maladie et d’accidents du travail.

Pour justifier ces changements, la Commission européenne souligne que le modèle actuel de nombreuses plateformes repose sur une forme de précarité, où les travailleurs supportent une grande partie des risques liés à leur activité sans contrepartie suffisante. En leur frant un statut plus protecteur, l’UE espère améliorer les conditions de travail et réduire la précarité dans ce secteur en pleine expansion.

Des critères de requalification assouplis

Initialement, la Commission européenne avait proposé en 2021 un texte visant à créer une présomption de salariat basée sur des critères objectifs et unifiés au niveau européen. Parmi ces critères figuraient des éléments tels que le fait pour une plateforme de fixer les niveaux de rémunération, de superviser à distance les prestations des travailleurs, de limiter la flexibilité de leurs horaires, ou encore de leur imposer un uniforme.

Cependant, dans sa version finale, la directive a renoncé à cette liste stricte de critères, laissant plus de liberté aux États membres pour définir les situations dans lesquelles un travailleur pourra être requalifié en salarié. Ainsi, chaque État pourra introduire dans son système juridique une présomption légale d’emploi, qui se déclenchera lorsque des éléments prouveront que l’entreprise exerce un « contrôle » sur le travailleur. Cette autonomie laissée aux pays membres permettra de tenir compte des spécificités nationales, notamment en matière de conventions collectives et de droit du travail.

Une charge de la preuve inversée pour les employeurs

Malgré l’abandon des critères stricts, la nouvelle directive introduit un mécanisme qui devrait faciliter les démarches des travailleurs souhaitant contester leur statut d’indépendant. En effet, une « présomption légale » d’emploi sera établie dans les systèmes juridiques des 27 États membres, permettant aux travailleurs de plateformes de contester leur statut en invoquant cette présomption. Dans ce cas, la charge de la preuve incombera aux employeurs, qui devront démontrer que les travailleurs concernés ne sont pas soumis à un lien de subordination.

Cette inversion de la charge de la preuve constitue une avancée significative pour les travailleurs, qui se retrouvaient jusqu’alors dans une position défavorable face aux grandes plateformes. Désormais, il appartiendra aux entreprises de prouver que les conditions de travail ne justifient pas une requalification en tant que salarié.

Un équilibre délicat entre protection des travailleurs et flexibilité

L’adoption de cette directive marque une étape importante dans la régulation des plateformes numériques en Europe, mais elle soulève également des interrogations quant à son impact sur l’avenir du secteur. D’un côté, elle représente une avancée majeure pour les droits des travailleurs, en leur frant une meilleure protection sociale et en reconnaissant leur contribution essentielle à l’économie numérique.

D’un autre côté, certaines entreprises craignent que ces nouvelles obligations ne réduisent la flexibilité du modèle de travail qui a fait leur succès. Elles estiment que la requalification en salariat pourrait entraîner des coûts supplémentaires importants, affectant ainsi leur rentabilité et leur capacité à innover.

L’enjeu pour l’Union européenne sera donc de trouver un équilibre entre la protection des droits des travailleurs et la préservation de la flexibilité, qui est souvent perçue comme un avantage pour de nombreux travailleurs de ces plateformes. Les deux années à venir, pendant lesquelles les États membres intégreront cette directive dans leur législation nationale, seront cruciales pour déterminer l’impact concret de cette loi sur l’ensemble du secteur.

Une nouvelle ère pour les travailleurs de plateformes numériques

Cette nouvelle législation européenne ouvre une nouvelle ère pour les travailleurs de plateformes numériques. En les requalifiant en salariés, elle vise à corriger des inégalités sociales flagrantes et à garantir un meilleur accès aux droits fondamentaux. Cependant, l’application de ces mesures variera selon les pays, et il reste à voir comment cette directive influencera à long terme le fonctionnement des plateformes numériques en Europe.

Les prochaines années seront décisives pour la mise en place de ce cadre législatif et pour l’adaptation des entreprises à ces nouvelles règles, tout en préservant l’équilibre entre protection sociale et innovation dans l’économie numérique.

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