OPINION • Depuis toujours, les médias ont joué un rôle central dans nos sociétés. Cependant, leur fonction actuelle dépasse celle d’un simple vecteur d’information : les grands médias — qu’ils soient de presse écrite ou de diffusion télévisée, accessibles en temps réel sur vos écrans via la TNT, le satellite ou les box Internet — façonnent l’opinion publique de manière profonde et souvent insidieuse. En France, la presse s’inscrit dans une tradition marquée par la résistance et l’après-guerre, avec l’émergence de titres emblématiques comme Le Monde et Le Figaro. Pourtant, même ces médias historiques n’ont jamais échappé aux pressions politiques et économiques qui orientent leur contenu.
Aujourd’hui, le paysage médiatique est dominé par une poignée de milliardaires (Bouygues, Bolloré, Lagardère, Niel et autres), qui possèdent et contrôlent l’essentiel des grandes chaînes d’information. Cette concentration de la propriété médiatique pose une question fondamentale : ces médias peuvent-ils réellement être impartiaux ? Le contrôle par des industriels aux intérêts multiples et souvent conflictuels engendre une homogénéisation des contenus et une limitation des voix critiques. La manipulation de l’information, sous couvert de neutralité, devient alors un outil pour orienter l’opinion publique.
« Médias de la haine » : un documentaire qui révèle la réalité des médias
Ce dimanche 10 novembre, le journaliste d’investigation Jean-Baptiste Rivoire, ancien de Canal+, a sorti un documentaire percutant intitulé Médias de la haine. Ce film met en lumière le rôle des chaînes d’information en continu, comme CNews, BFMTV et LCI, dans la manipulation de l’opinion publique. Ces chaînes, détenues par des milliardaires comme Vincent Bolloré et Martin Bouygues, orientent sciemment le discours public selon les intérêts de leurs propriétaires. Mais pourquoi ces industriels s’intéressent-ils tant à l’information ? Leur motivation première est claire : protéger leurs intérêts financiers et promouvoir leur agenda idéologique.
Prenons l’exemple de CNews, détenue par Vincent Bolloré. Peu de chances d’y entendre parler des controverses entourant ses activités en Afrique. De même, sur BFMTV, propriété de CMA CGM du milliardaire Rodolphe Saadé, il est rare d’entendre des critiques sur ce géant du transport maritime. Cette utilisation des médias pour servir des intérêts privés constitue une menace pour la démocratie.
Médias et élections : une influence indéniable
Cette concentration médiatique n’est pas sans conséquence sur le processus démocratique. De nombreuses études ont montré que l’influence des grands médias peut affecter directement les résultats des élections. Plusieurs mécanismes expliquent ce phénomène.
Tout d’abord, l’effet de cadrage (framing effect) permet aux médias de manipuler l’opinion en mettant l’accent sur certains aspects d’un sujet tout en en négligeant d’autres. Une étude de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) a démontré que le cadrage des débats économiques influençait les préférences électorales, en orientant les électeurs contre les gouvernements en place.
Ensuite, la mise à l’agenda (agenda-setting) est un autre outil puissant utilisé par les médias pour influencer les priorités du public. Lors des élections européennes de 2019, une étude de l’Université d’Oxford a révélé que la focalisation des médias sur les questions de migration et d’identité avait amplifié le vote populiste, au détriment des autres enjeux politiques.
Polarisation et radicalisation : l’effet pervers des médias partisans
Dans un contexte de polarisation croissante des médias, des chaînes comme CNews, avec leur penchant pour l’extrême droite, renforcent les opinions existantes et poussent à la radicalisation. Une recherche menée par la Harvard Kennedy School a analysé l’impact de la polarisation des médias aux États-Unis et a montré une augmentation significative de la polarisation électorale entre 2000 et 2020. Les électeurs exposés à une seule source d’information avaient tendance à adopter des positions plus radicales, exacerbant ainsi la division politique.
En France, le cas de Vincent Bolloré et de sa chaîne CNews est emblématique. Le discours y est orienté vers la stigmatisation des plus précaires, des chômeurs et des bénéficiaires du RSA, accusés d’être la source des problèmes économiques du pays. L’immigration est présentée comme la cause de tous les maux, alors que les sujets comme la fraude fiscale des grands groupes et des milliardaires sont soigneusement éludés.
Couverture médiatique inégale et manipulation par les sondages
Un autre facteur d’influence des médias est la couverture médiatique disproportionnée accordée à certains candidats. Lors des élections présidentielles françaises de 2017, Emmanuel Macron a bénéficié d’une exposition médiatique beaucoup plus importante que ses adversaires. Selon une étude de l’Institut de Recherche et d’Études sur la Communication (IREC), cette surreprésentation a contribué à renforcer sa position dans les sondages et, finalement, son succès électoral.
En outre, les sondages électoraux, souvent commandés par les grands médias, influencent l’opinion publique en créant un effet de bandwagon, où les électeurs préfèrent se rallier au candidat en tête des sondages pour éviter un « vote perdu ». Une analyse des élections législatives britanniques de 2015 par l’Université de Cambridge a montré que cette dynamique avait favorisé le Parti conservateur, influençant ainsi le résultat final.
Concentration médiatique : un danger pour la diversité de l’information
La concentration des médias entre les mains de quelques conglomérats puissants menace la diversité de l’information et renforce la mainmise des intérêts économiques sur le discours public. En France, la domination de groupes comme ceux de Vincent Bolloré ou Rodolphe Saadé entraîne une uniformisation du traitement de l’information et un biais prononcé dans les sujets abordés. Les voix dissidentes sont étouffées, limitant ainsi la pluralité des opinions et empêchant un débat véritablement démocratique.
Face à cette situation, il devient difficile pour les citoyens de s’informer librement et de manière éclairée. Les médias ne se contentent plus de rapporter les faits, mais influencent activement l’opinion publique et orientent les choix électoraux. En dénonçant les plus précaires et en glorifiant les intérêts des milliardaires, ils trahissent leur mission fondamentale : informer le public de manière impartiale.
La démocratie est-elle en danger ?
Dans ce contexte de manipulation généralisée, on peut légitimement se demander si notre démocratie est encore réelle. Les citoyens votent-ils en toute connaissance de cause, ou bien sont-ils influencés par une armée d’éditorialistes et de chroniqueurs qui dictent ce qu’il convient de penser ? La démocratie semble désormais taillée sur mesure pour les plus fortunés, qui utilisent leurs médias pour désigner les bons et les mauvais candidats, les idées acceptables et celles qui doivent être rejetées.
La crise actuelle des médias met en évidence la nécessité de repenser notre rapport à l’information et d’exiger une réelle indépendance médiatique. Si nous voulons préserver notre démocratie, il est temps de remettre en question le pouvoir démesuré des milliardaires sur nos sources d’information et de promouvoir un paysage médiatique véritablement diversifié et libre.