OPINION • Le géant français de la distribution, Carrefour, fait à nouveau parler de lui. Selon une information révélée par l’agence de presse financière Bloomberg, le groupe explore plusieurs scénarios pour accroître sa valorisation en Bourse, parmi lesquels figurent une vente partielle ou totale. Une nouvelle qui a provoqué un véritable séisme, en particulier parmi les syndicats de l’entreprise, qui redoutent un éventuel démantèlement. Derrière les chiffres et les annonces, ce sont des milliers de salariés qui pourraient voir leurs conditions de travail et leurs emplois menacés.
Depuis l’arrivée d’Alexandre Bompard à la tête de Carrefour en 2017, les politiques d’optimisation des coûts se sont multipliées. Ancien dirigeant de Canal+, Europe 1 et La Fnac, Bompard est connu pour ses stratégies de réduction de coûts, notamment en matière de ressources humaines. La fusion Fnac-Darty, orchestrée par lui, avait déjà laissé un goût amer aux salariés, qui avaient subi des licenciements massifs. Aujourd’hui, la direction prise par Carrefour ressemble de plus en plus à une course effrénée vers la rentabilité, souvent au détriment des travailleurs.
Le retour du Taylorisme : une dégradation des conditions de travail
Sous la direction de Bompard, Carrefour a mis en place des mesures d’optimisation qui rappellent les principes du Taylorisme, une méthode de gestion scientifique du travail développée à la fin du XIXe siècle. Inspirée par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, cette approche décompose les tâches en segments élémentaires et répétitifs, assignant à chaque employé une tâche unique. Si cette méthode permet de réduire les coûts, elle entraîne une dégradation notable des conditions de travail, augmentant la pression et le sentiment d’inachevé chez les salariés.
Mais les coupes budgétaires ne s’arrêtent pas là. Depuis 2017, le groupe a multiplié les contrats de location-gérance, une stratégie qui permet à Carrefour de confier la gestion de ses magasins à des tiers sans céder ses actifs. Cette approche, différente d’une franchise classique, génère des économies pour le groupe tout en transférant la charge des salaires au locataire-gérant. Les conséquences pour les employés sont désastreuses : ils perdent leur statut de salarié du groupe Carrefour et, avec lui, les avantages des négociations collectives, se retrouvant ainsi exposés à des conditions de travail moins favorables.
Des dividendes en hausse, mais à quel prix ?
Les résultats financiers de Carrefour montrent pourtant un groupe en bonne santé. Au troisième trimestre 2024, le chiffre d’affaires a progressé de 1,5 %, atteignant 23,9 milliards d’euros, malgré un contexte difficile en Europe. Cette performance est en partie due à l’intégration des enseignes Cora et Match, rachetées récemment. Toutefois, la stratégie de croissance menée par Alexandre Bompard, qui inclut des mesures d’économie drastiques, ne semble pas bénéficier aux salariés.
En effet, les dividendes versés aux actionnaires pour 2023 devraient atteindre environ 600 millions d’euros. Par ailleurs, la rémunération d’Alexandre Bompard, approuvée lors de l’assemblée générale de mai 2024, pourrait s’élever à 4,5 millions d’euros, avec la possibilité de toucher jusqu’à 5,3 millions d’euros supplémentaires en actions si certains objectifs de performance sont atteints. Ces chiffres colossaux soulèvent des questions sur la priorisation des intérêts financiers au détriment des conditions de travail.
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Conflits d’intérêts et pouvoir : L’ombre de Bernard-Henri Lévy sur Arte suscite des interrogationsUne stratégie purement financière : les révélations de Bloomberg
Les révélations de Bloomberg laissent entrevoir une stratégie qui va au-delà des simples mesures de réduction des coûts. Le groupe Carrefour, valorisé à environ 10 milliards d’euros, envisage différentes options pour gonfler sa valorisation boursière. Parmi les pistes étudiées figurent des partenariats stratégiques, des acquisitions, une réorganisation interne, et même la vente de certains actifs. L’idée d’une vente partielle ou totale n’est pas écartée, et des discussions informelles seraient déjà en cours, même si aucun accord formel n’a encore été annoncé.
Ces spéculations rappellent les tentatives précédentes de rachat du groupe. En 2021, une offre du groupe canadien Couche-Tard avait été bloquée par le gouvernement français pour des raisons de sécurité alimentaire nationale. Depuis, d’autres discussions avec Auchan et Casino ont échoué, laissant planer le doute sur l’avenir de Carrefour.
?????? | Blocage du Carrefour de Bercy 2 à Paris pour protester contre la politique de location-gérance du groupe.
— ?? STOP INFO (@StopinfoFr) November 21, 2023
La CGT Commerce dénonce la suppression de 30.000 postes depuis 2018.#Carrefour #Grevepic.twitter.com/Aq7ZD6cEts
Le poids de l’histoire et l’oubli des travailleurs
Carrefour compte aujourd’hui environ 305 000 employés dans le monde, dont 85 000 en France. Avec ses 15 000 magasins répartis dans plus de 40 pays, le groupe est un acteur incontournable du secteur de la grande distribution. Pourtant, les récentes annonces laissent penser que le destin de l’entreprise est désormais dicté par la seule recherche de profit pour les actionnaires, au détriment des travailleurs qui ont contribué à son succès.
Cette tendance n’est pas propre à Carrefour. Il y a quelques jours, Auchan a également annoncé un plan social touchant près de 2 400 emplois, avec la fermeture de plusieurs magasins et entrepôts. Cette vague de restructurations dans la grande distribution montre une volonté croissante de maximiser les profits en faisant peser les ajustements sur les salariés. Les travailleurs, qui ont été en première ligne pour assurer la continuité des services pendant les périodes difficiles, semblent aujourd’hui avoir été oubliés.
Une crise de confiance face à l’avenir
La stratégie adoptée par Carrefour, et incarnée par Alexandre Bompard, révèle une tendance inquiétante dans le monde de l’entreprise : celle de privilégier les dividendes des actionnaires et les rémunérations des dirigeants, tout en imposant des sacrifices aux salariés. Cette situation exacerbe un sentiment d’injustice et nourrit la méfiance à l’égard des grandes entreprises et de leurs pratiques.
Les révélations de Bloomberg ajoutent une nouvelle couche de complexité à cette crise de confiance. Si une vente partielle ou totale venait à se concrétiser, les conséquences pour les employés seraient probablement désastreuses, accentuant encore plus les tensions sociales. Les syndicats, déjà en alerte, se préparent à de possibles mobilisations pour défendre les emplois et les droits des travailleurs.
Lundi 28 Juin 2021, Les salariés du #CarrefourMarket de Verrières le buisson, à l’appel de la #CGT, se sont mobilisés aujourd’hui pour dénoncer le changement de Mode de gestion du magasin , qui passe à la location gérance.
— RADIO TONGOSSA (@radiotongossa) June 28, 2021
Vidéo complète : https://t.co/7dVSycKgzT pic.twitter.com/w6Y22H87f8
Carrefour, qui s’est longtemps targué d’être un pilier de la distribution en France, semble aujourd’hui prêt à sacrifier ses valeurs et ses employés sur l’autel de la rentabilité financière. Pour les travailleurs du groupe, l’avenir s’annonce incertain, tandis que les actionnaires continuent de récolter les fruits de cette stratégie d’austérité déguisée.