Menacé pour avoir dénoncé les pesticides, un agriculteur ose briser le silence

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Tony HOUDEVILLE

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INFORMATION • Thierry Gozzerino, maraîcher bio et coprésident des Paniers marseillais, est aujourd’hui au cœur d’un bras de fer contre l’utilisation massive de pesticides dans la plaine de la Crau, à Salon-de-Provence. Son combat, initié par des années de travail acharné pour convertir son exploitation à l’agriculture biologique, le place désormais sous le feu des projecteurs et en fait la cible de menaces et d’intimidations. Dans un récent article de Reporterre, Thierry Gozzerino raconte son parcours semé d’embûches et les pressions croissantes qu’il subit pour avoir dénoncé l’usage de glyphosate dans les canaux d’irrigation de sa région.

Thierry Gozzerino est loin d’être un novice dans le milieu agricole. À la tête d’une ferme de six hectares, il cultive une grande variété de légumes biologiques, destinés à 460 familles membres du réseau des AMAP. Depuis sa conversion au bio en 2007, il s’est efforcé d’améliorer la qualité de son sol, atteignant un taux de matières organiques remarquable de 6,5 %. Pourtant, malgré ses efforts pour promouvoir une agriculture durable et respectueuse de l’environnement, il se retrouve aujourd’hui face à un risque de perte de sa certification bio en raison des contaminations potentielles par les pesticides provenant des exploitations voisines.

Menace sur la certification bio : Un enjeu crucial

En mai dernier, un contrôle surprise d’Ecocert a révélé une possible contamination des parcelles de Thierry par le glyphosate, un herbicide controversé. Selon l’organisme de certification, les techniques d’irrigation traditionnelles de la région pourraient permettre aux résidus de glyphosate de se frayer un chemin dans les sols biologiques de Gozzerino. « Si ces analyses confirment la contamination, je risque de perdre ma certification bio », déplore-t-il. Cette situation met en lumière la difficulté pour les agriculteurs bio de maintenir leur certification dans un environnement où les pesticides sont largement utilisés.

Malgré ses tentatives répétées de sensibiliser les agriculteurs voisins et les autorités locales, ses appels sont restés lettre morte. Thierry a proposé des solutions alternatives, comme l’utilisation d’acide pélargonique, qu’il considère comme moins nocif, mais ses initiatives n’ont pas été suivies. Il est même allé jusqu’à suggérer une charte pour interdire l’usage des désherbants de synthèse, une proposition qui a été ignorée.

Plaintes et menaces : La solitude du lanceur d’alerte

Le 5 juin dernier, France Nature Environnement (FNE) a déposé une plainte pour usage illégal de glyphosate dans les canaux d’irrigation, citant Thierry Gozzerino comme lanceur d’alerte. Depuis, l’agriculteur est la cible d’appels menaçants et de harcèlement. « On m’a dit qu’on allait s’occuper de moi. Par crainte d’un incendie, j’ai dormi plusieurs nuits dans ma caravane », raconte-t-il. Le climat de tension est tel qu’il a dû déposer une main courante pour menaces et injures, une situation qui illustre les risques encourus par ceux qui osent dénoncer l’omniprésence des pesticides.

Ce harcèlement n’a cependant pas empêché Gozzerino de poursuivre son combat. Soutenu par ses collègues des Paniers marseillais, il continue de plaider pour une agriculture sans pesticides. Laurence Suzanne, coprésidente de l’association, affirme : « Thierry prend des risques pour nous tous. Nous considérons qu’il a parlé en notre nom. »

Une conversion au bio marquée par les drames familiaux

Le parcours de Thierry vers l’agriculture biologique n’a pas été un choix de confort. Issu d’une famille d’agriculteurs italiens, il a grandi en utilisant des produits chimiques sans se poser de questions. Ce n’est qu’après avoir frôlé la faillite en 2005 qu’il a opté pour une conversion au bio, cherchant avant tout un modèle économique viable. Mais au-delà de la rentabilité, c’est la santé publique qui a motivé son changement. Thierry se souvient avec émotion de son père, décédé en 2012 d’un lymphome reconnu comme maladie professionnelle due aux pesticides. « Mon père et mes oncles ont tous été exposés. Le seul encore en vie est celui qui a quitté l’agriculture à 40 ans », confie-t-il.

Les témoignages de maladies liées aux pesticides sont nombreux, mais restent souvent ignorés. Lors de sa dernière formation Certiphyto, Thierry a constaté que certains agriculteurs préféraient ne pas entendre parler des dangers des produits phytosanitaires, un comportement qu’il compare à celui des travailleurs de l’amiante avant que les autorités ne reconnaissent le problème.

Le combat pour la santé publique : Un engagement nécessaire

Malgré les menaces et l’incertitude concernant sa certification bio, Thierry Gozzerino refuse de se taire. Il informe ouvertement ses clients des problèmes auxquels il est confronté, de sa maladie de la thyroïde liée aux pesticides, et des cas de cancer dans sa famille. Cette transparence a encouragé ses adhérents à se mobiliser à ses côtés. Catherine Dumont, une adhérente de longue date, a signé la pétition du collectif Zéro phyto dans nos canaux, espérant ainsi faire pression pour interdire l’usage du glyphosate.

Le silence persistant autour des dangers des pesticides agace profondément Thierry. Il critique les décideurs politiques, accusés de fermer les yeux sur les effets néfastes de ces produits sur la santé des agriculteurs et de la population en général. « Contrairement à l’amiante, on continue d’autoriser des substances qui nous empoisonnent à petit feu », dénonce-t-il, amer.

Un appel à l’action pour le monde agricole

Pour Thierry Gozzerino, la lutte contre les pesticides est loin d’être terminée. Il continue de militer pour une remise en question du modèle agricole actuel, en participant activement à des actions telles que le blocage d’autoroutes. « On marche sur la tête », clame-t-il, reprenant un slogan qui, pour lui, s’applique également aux agriculteurs qui persistent à utiliser des produits chimiques. Thierry appelle à une prise de conscience collective : « Le monde agricole doit être capable de se remettre en question, pour le bien de tous. »

En dénonçant l’utilisation du glyphosate dans les canaux d’irrigation, Thierry Gozzerino a montré qu’il est possible de remettre en cause un système profondément enraciné, même si cela implique des risques personnels. Son engagement témoigne de la nécessité d’un changement radical dans les pratiques agricoles, un changement dicté par la santé publique et l’urgence environnementale.

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