INFORMATION • Plus que jamais, l’immigration est au cœur des débats en France, mais elle ne se limite pas à l’arrivée de populations étrangères sur le territoire. Depuis plusieurs années, une défiance grandissante vise aussi des citoyens français, souvent jugés à l’aune de critères physiques ou patronymiques censés incarner un « Français modèle », des critères qui relèvent bien souvent du fantasme plutôt que de la réalité historique.
On entend régulièrement parler de « Français de souche », une expression aussi floue que problématique. Mais qu’est-ce réellement qu’un « Français de souche » ? Quelle serait cette fameuse souche, et d’où proviendrait-elle ? Sommes-nous, en tant que Français, réellement conscients de notre histoire, de nos origines et de notre identité ?
Au-delà des discours simplificateurs relayés par certains médias conservateurs comme CNews, il est temps de s’interroger : qui sommes-nous vraiment ? Ne nous a-t-on pas trompés dès l’enfance, dans les salles de classe de l’école républicaine, avec des mythes tels que celui de nos « ancêtres les Gaulois » ?
Les Gaulois : une mosaïque de tribus, pas un peuple unifié
Commençons par les racines de ce récit trompeur : l’histoire vendue des origines de la France, symbolisées par les fameux Gaulois. L’idée d’un « peuple gaulois » homogène relève en réalité du mythe. Ceux que nous appelons aujourd’hui Gaulois ne se désignaient jamais ainsi. Ce terme vient des Romains, qui regroupaient sous le nom Galli les multiples tribus celtiques pour simplifier leur domination et leur administration. En réalité, ces populations se définissaient par leurs affiliations locales : les Arvernes, les Éduens, les Sénons, entre autres. Même Vercingétorix, devenu l’incarnation de la résistance gauloise, était avant tout un chef arverne.
En réalité, ce que les Romains appelaient « Gaulois » regroupait plus d’une soixantaine de tribus distinctes, chacune ayant son propre chef, ses propres coutumes, et souvent des intérêts divergents. Ces peuples vivaient sur des territoires bien délimités et, loin de s’unir sous une identité commune, ils entraient fréquemment en conflit les uns avec les autres. Cette absence d’unité politique rendait les Gaulois vulnérables face à un adversaire organisé comme Rome.
Loin d’unifier ces tribus sous une bannière commune, les Gaulois se distinguaient par leur diversité culturelle, linguistique et politique. Chaque peuple avait ses propres coutumes et institutions, reflétant un monde foisonnant et fragmenté. L’appellation « Gaule » est donc une construction extérieure, imposée par les conquérants romains pour uniformiser leurs récits et asseoir leur domination.
La diversité des Gaulois : une mixité dès l’Antiquité
Avant même la conquête romaine, le territoire de la France actuelle était marqué par une grande mixité culturelle. Les échanges entre les peuples celtes, les Étrusques, les Grecs de Massalia (Marseille) et même les Phéniciens façonnaient déjà cette mosaïque. Les Gaulois n’étaient pas des habitants « purement celtiques » ; ils faisaient partie d’un carrefour d’influences méditerranéennes et européennes.
La romanisation accentue encore cette diversité. Sous la Pax Romana, la Gaule devient un espace d’intégration où se croisent des populations venues d’Afrique du Nord, d’Orient ou d’Espagne. Cette mixité, loin d’être nouvelle, s’inscrit dans une continuité historique jusqu’à nos jours, avec les migrations contemporaines venues du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.
La construction idéologique du mythe gaulois au XIXe siècle
Si le mythe des Gaulois comme ancêtres des Français a pris racine, c’est sous l’impulsion d’intellectuels et de politiques du XIXe siècle. Après la Révolution française, la nouvelle République cherche à unifier la nation et à imposer une histoire commune face à ses divisions. Jules Michelet est l’un des premiers à ériger les Gaulois en symboles de liberté et de résistance face aux oppresseurs. Il forge ainsi une figure « purement française », exempte des connotations monarchiques associées aux Francs ou aux Romains.
Napoléon III, dans une démarche similaire, instrumentalise les Gaulois pour asseoir son pouvoir impérial. En commandant les fouilles d’Alésia, il glorifie la défaite héroïque de Vercingétorix pour incarner le sacrifice patriotique face à un ennemi puissant.
L’école républicaine et la propagande identitaire
Sous la Troisième République, l’école de Jules Ferry joue un rôle central dans la diffusion du mythe des Gaulois. Les manuels d’histoire d’Ernest Lavisse, figure clé de l’éducation républicaine, popularisent la célèbre formule : «Nos ancêtres les Gaulois». À travers cette expression, l’objectif était de construire une identité nationale homogène, en effaçant les particularismes régionaux et en inculquant aux élèves une vision unifiée de l’histoire de France. Ce récit simplifié transforme les Gaulois en socle imaginaire de la nation française.
Cette construction idéologique visait aussi à répondre aux défis de l’époque. Dans une France encore marquée par la défaite contre la Prusse en 1870 et fragmentée par des clivages sociaux et culturels, il s’agissait de fédérer les citoyens autour d’un passé commun. Les Gaulois, présentés comme courageux et résistants, symbolisaient des valeurs républicaines que l’école cherchait à transmettre aux générations futures.
Un récit qui ignore la diversité historique
Cependant, ce récit national repose sur une simplification excessive. En érigant les Gaulois comme les ancêtres uniques des Français, on occulte la pluralité des peuples qui ont façonné la France au fil des siècles : Celtes, Romains, Francs, et bien d’autres. Ce mythe a également été utilisé dans les colonies françaises pour tenter d’assimiler les populations locales, imposant une vision eurocentrée et uniformisée de l’histoire, tout en niant les identités culturelles propres à ces territoires.
Bien que la formule «Nos ancêtres les Gaulois» ait disparu des manuels scolaires depuis plusieurs décennies, son influence persiste. Les programmes actuels s’efforcent désormais de présenter une histoire plus inclusive et fidèle à la réalité. Ils insistent sur le rôle de la diversité et des métissages dans la construction de l’identité française, soulignant l’apport de multiples cultures à travers les siècles.
Aujourd’hui, l’héritage des Gaulois est enseigné comme une partie parmi d’autres du récit national, sans prétendre à une exclusivité. Cette approche scientifique met en lumière la richesse des interactions entre les peuples qui ont habité le territoire français, offrant ainsi une vision plus ouverte et représentative de l’histoire.
Repenser l’identité française
Comprendre l’histoire de France, c’est reconnaître qu’elle s’est toujours construite dans la diversité et l’échange. Revisiter notre passé permet de déconstruire les récits simplificateurs qui enferment l’identité nationale dans une vision figée ou fantasmée. La France moderne n’est pas l’héritière d’un seul peuple, mais le fruit d’un métissage continu, reflet de son histoire et de sa richesse culturelle.
Aujourd’hui, le mythe des Gaulois est largement déconstruit par des historiens tels que Jean-Louis Brunaux, Patrick Boucheron ou Bruno Dumézil, ainsi que par l’écrivain François Reynaert dans son livre Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises. Reynaert y rappelle que la France s’est construite dans la diversité, et non à partir d’une identité figée. De l’Antiquité à nos jours, le territoire français a toujours été un lieu de rencontres, d’échanges et de migrations. La présence de populations venues d’Afrique ou du Maghreb au XXe siècle ne constitue donc pas une rupture, mais s’inscrit dans la continuité naturelle de l’histoire de France.
Dépasser les mensonges pour reconnaître la réalité
Le mythe des Gaulois, forgé pour servir des ambitions politiques, a enfermé des générations dans une fausse idée de leur histoire. En s’appuyant sur un passé imaginaire, les gouvernements du XIXe siècle ont réduit l’histoire de France à une caricature identitaire. Or, reconnaître la diversité originelle de ce territoire est non seulement une vérité historique, mais aussi un impératif pour construire une société plus inclusive. La France d’aujourd’hui, multiculturelle et ouverte, est l’héritière directe de cette longue tradition de mixité.