INFORMATION • Dix ans après son arrivée en France, Netflix, la plateforme de streaming vidéo à la demande (SVOD) co-fondée par Reed Hastings, continue de se heurter à une spécificité bien française : la chronologie des médias. Ce cadre juridique, qui régule la diffusion des films après leur sortie en salle, constitue un frein majeur à l’expansion de Netflix dans l’industrie cinématographique hexagonale, malgré son succès dans d’autres secteurs comme les séries et les documentaires.
Selon les informations de BFMTV, cette chronologie des médias, datant de plusieurs décennies, est l’un des piliers de l’exception culturelle française. Elle impose des délais stricts pour la diffusion des films sur différents supports, afin de protéger les salles de cinéma et favoriser l’exploitation des œuvres sur le long terme. Ce système, bien que régulièrement remis en question par les grandes plateformes de streaming telles que Disney+ ou Netflix, continue d’être défendu avec acharnement par le secteur cinématographique français.
Une place acquise dans les séries, mais pas dans le cinéma
Depuis son lancement en France, Netflix s’est imposée comme un acteur incontournable de la production locale, en particulier dans les séries et les documentaires. En dix ans, la plateforme a investi plus de 250 millions d’euros dans l’industrie audiovisuelle française, participant ainsi à la création de nombreux contenus originaux et à l’essor de la production nationale.
Cependant, Netflix peine encore à s’ancrer durablement dans le paysage cinématographique français. Bien qu’elle ait enregistré des succès avec des films tels que Balle Perdue ou encore Sous la Seine, la plateforme reste souvent marginalisée dans le monde des salles obscures, où ses productions sont perçues comme des concurrentes directes des films traditionnels. Le cinéma français, attaché à ses spécificités, continue à bouder les films produits ou co-produits par Netflix.
La chronologie des médias : un frein majeur
L’une des principales raisons pour lesquelles Netflix est encore tenue à l’écart des salles de cinéma réside dans la chronologie des médias. Ce cadre réglementaire impose aux plateformes de streaming d’attendre plusieurs mois après la sortie d’un film au cinéma avant de pouvoir le diffuser sur leurs services. Ce décalage entre la sortie en salle et la mise à disposition sur Netflix constitue un obstacle pour la plateforme, qui mise sur la rapidité de diffusion pour fidéliser ses abonnés.
En 2023, la fenêtre de diffusion a été réduite à 15 mois pour Netflix, contre 17 mois pour ses concurrents comme Disney+ ou Amazon Prime Video, après des négociations intenses avec les professionnels du cinéma. Cette réduction a été obtenue à la suite de menaces de Disney de retirer ses grosses productions de Noël des salles françaises, un signal fort de l’influence croissante des plateformes de SVOD dans l’industrie cinématographique.
« 15 mois, c’est beaucoup trop long » : Netflix critique la situation
Malgré cette avancée, Netflix reste insatisfaite. « Quinze mois, c’est beaucoup trop long, » a déclaré Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, porte-parole de Netflix en France, lors d’un entretien avec BFMTV dans le cadre du podcast La saga Netflix de Tech&Co. Selon elle, bien que la plateforme ait signé cette nouvelle chronologie des médias, cette attente est disproportionnée par rapport aux habitudes de consommation dans d’autres pays, où les délais sont beaucoup plus courts, voire inexistants. « On est passé de 36 à 15 mois, c’est un saut quantique, mais qui reste beaucoup trop long quand on regarde les usages mondiaux », précise-t-elle.
Pour Netflix, le modèle de diffusion immédiate est central. La plateforme met en avant une approche différente des salles de cinéma, souhaitant que ses abonnés puissent visionner directement les films qu’ils ont contribué à financer via leur abonnement. Cet engagement se traduit notamment par des productions originales diffusées en exclusivité sur Netflix après la fenêtre de 15 mois, comme ce fut le cas pour le film Jeanne du Barry, réalisé par Maïwenn et sorti sur Netflix en août 2023, 15 mois après sa sortie en salle.
Un dialogue nécessaire pour une évolution future
Netflix se veut toutefois pragmatique et entend continuer à discuter avec les acteurs de l’industrie cinématographique française pour faire évoluer la chronologie des médias. Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce a insisté sur le fait que Netflix avait signé cet accord dans un « esprit constructif de dialogue », tout en soulignant la nécessité de continuer à réduire les délais. Pour la plateforme, il s’agit de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation des spectateurs, de plus en plus enclins à accéder rapidement aux films via les services de streaming.
Le cas de Jeanne du Barry illustre bien cette tension entre la tradition française des salles de cinéma et les nouveaux modèles de diffusion. Si Netflix a réussi à obtenir une exclusivité pour ce film après 15 mois d’attente, le délai reste encore trop long aux yeux de la plateforme, qui considère qu’un temps d’exploitation en salle plus court pourrait être plus bénéfique pour toutes les parties prenantes.
Une bataille loin d’être terminée
Le combat pour une réforme plus profonde de la chronologie des médias est donc loin d’être achevé pour Netflix. L’entreprise américaine, comme d’autres plateformes de SVOD, souhaite voir cette spécificité française s’adapter aux réalités du marché mondial. Mais la résistance des professionnels du cinéma, soucieux de protéger les salles et l’exploitation des films, demeure forte.
Netflix continue de naviguer dans un paysage complexe en France, où la chronologie des médias reste un obstacle majeur à sa pleine expansion dans le cinéma. Si la plateforme a réussi à s’imposer dans le domaine des séries et des documentaires, elle doit encore mener un long combat pour obtenir une place plus importante dans l’industrie cinématographique. Le dialogue avec les acteurs du secteur sera crucial dans les années à venir pour espérer une révision en profondeur de cette réglementation.