Le jour où Bernard Maris a dévoilé comment les banques créent de l’argent

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Tony HOUDEVILLE

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EDITO • Le 7 janvier 2015, l’économiste Bernard Maris nous quittait tragiquement lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. Dix ans plus tard, son absence se fait cruellement ressentir dans le débat public. Rare économiste à présenter une vision critique du capitalisme sur des plateaux de grande audience, Maris incitait à réfléchir aux inégalités systémiques plutôt que de les normaliser. Aujourd’hui, ce rôle pédagogique et démystificateur a été largement abandonné dans les médias dominés par des experts ultralibéraux.

Sur France Inter, France 5 ou encore I-Télé, Bernard Maris était l’un des rares à rendre l’économie accessible tout en mettant en évidence les travers d’un système économique accaparé par les plus riches. Ses interventions démontraient que les dépenses sociales – souvent pointées du doigt – étaient loin d’être la cause principale des déficits publics. Plutôt, il s’attaquait aux grandes fortunes échappant à l’impôt grâce à des stratégies de contournement savamment orchestrées.

Un paysage médiatique dominé par les ultralibéraux

Depuis la disparition de Bernard Maris, le pluralisme des idées économiques dans les grands médias s’est réduit à peau de chagrin. Les éditorialistes comme Dominique Seux, Nicolas Bouzou ou encore Agnès Verdier-Molinié monopolisent les matinales radiophoniques avec des discours en faveur de la flexibilisation du travail ou de la réduction des cotisations sociales. Cette uniformité idéologique façonne une opinion publique souvent démunie face aux conséquences réelles de ces politiques.

Selon un économiste resté anonyme, cette homogénéité contribue à faire passer des mesures contestées pour des évidences scientifiques. Les réformes controversées, telles que la suppression de l’ISF ou les baisses d’impôts pour les entreprises, sont ainsi présentées comme incontournables. Pourtant, ces orientations restent vivement débattues au sein de la communauté scientifique, un aspect trop souvent écarté des discussions médiatiques.

Un manque criant de diversité intellectuelle

Si des économistes de gauche, comme Thomas Piketty ou Thomas Porcher, tentent de porter un discours critique, leurs interventions sont souvent reléguées au rôle de contrepoints minoritaires. Pour Benjamin Coriat, cofondateur des Économistes atterrés, la disparition de Bernard Maris a marqué une rupture. Maris, par sa régularité sur les ondes et ses qualités personnelles, offrait une véritable alternative au discours dominant.

La concentration des médias dans les mains de milliardaires comme Vincent Bolloré accentue ce phénomène. Ces magnats défendent des projets politiques incompatibles avec la remise en cause du système néolibéral. Cette mainmise sur les grilles de programmes freine toute tentative d’élargir le spectre idéologique, limitant l’espace dédié aux économistes critiques.

L’héritage de Bernard Maris : démocratiser l’économie

L’œuvre de Bernard Maris était à la fois critique et pédagogique. Il considérait l’économie comme un sujet d’intérêt public, loin des théories abstraites réservées à une élite. Son humour et sa capacité à relier l’économie à des disciplines comme la philosophie ou la sociologie le rendaient accessible à tous.

« L’économie, c’est la vie quotidienne, pas seulement des formules mathématiques, » répétait-il. Cette approche permettait aux citoyens de comprendre les enjeux cachés derrière les politiques publiques et de développer un esprit critique face au discours dominant. Pour Anne Isla, chercheuse au Lereps, cet effort de vulgarisation est indispensable pour éviter que le débat économique soit confisqué par des intérêts privés.

Une bataille culturelle encore d’actualité

Malgré tout, les économistes critiques ne baissent pas les bras. Des figures comme Anne-Laure Delatte s’efforcent de déconstruire les narratifs néolibéraux, même dans des conditions peu favorables. Toutefois, ces efforts restent limités par le temps d’antenne restreint et la culture du clash qui domine souvent les débats télévisés.

Le combat pour une économie au service des citoyens est loin d’être gagné. Bernard Maris, par son intelligence et son humanité, incarnait une économie au visage humain. Si son absence est irrémédiable, son exemple continue d’inspirer ceux qui luttent pour un débat économique plus juste et plus inclusif.

L’héritage de Bernard Maris : démocratiser l’économie

On se souvient encore du passage de Bernard Maris dans l’émission C dans l’air, diffusée sur France 5 le 8 mai 2013. Lors de cette intervention, il expliqua, à propos de la dette publique, qu’il était inutile de payer les créanciers. Cette analyse provoqua des réactions médusées sur le plateau, notamment de la part du présentateur Yves Calvi, connu pour son penchant en faveur des riches et des idées libérales. Face à un panel hostile, Bernard Maris soutenait que, dans un contexte de faible croissance, la France était structurellement incapable de rembourser cette dette.

Malgré le scepticisme des autres participants, Bernard Maris poursuivit son raisonnement avec conviction. Il souligna que l’insistance à vouloir honorer ces dettes au détriment des investissements publics ou sociaux représentait une impasse économique. Sa position illustrait parfaitement sa capacité à remettre en question les dogmes dominants, même dans un environnement peu réceptif. Cet épisode, emblématique de son courage intellectuel, résume l’impact d’un économiste prêt à défier les idées préconçues pour ouvrir le champ des possibles.

L’éclairage de Bernard Maris sur la création monétaire

En mai 2011, Bernard Maris, nommé par Jean-Pierre Bel, président socialiste du Sénat, au poste de conseiller général de la Banque de France, apportait un éclairage précieux sur le fonctionnement du système monétaire. Ce rôle stratégique lui conférait une expertise unique sur des mécanismes de création monétaire souvent perçus comme opaques par le grand public.

Lorsqu’on lui demandait d’expliquer d’où vient l’argent que prêtent les banques, sa réponse avait de quoi étonner même les plus avertis : « La banque fabrique de l’argent ex-nihilo, à partir de rien, avec l’autorisation de la banque centrale. » Cette déclaration, à la fois simple et percutante, résumait l’un des fondements du système bancaire moderne.

Une création monétaire méconnue mais fondamentale

Pour illustrer son propos, Bernard Maris prenait un exemple concret : l’achat d’un bien immobilier d’une valeur de 500 000 €. La banque, expliquait-il, « fabrique » cette somme de manière virtuelle en inscrivant une créance équivalente dans ses livres. Que l’achat soit réglé par chèque ou, théoriquement, en billets, le processus reste identique. Si un client souhaitait retirer ces 500 000 € en espèces, la banque s’approvisionnerait auprès de la banque centrale, qui fournirait les billets en échange de la créance.

Cette mécanique, déroutante pour le grand public, révèle une vérité essentielle : l’argent n’existe pas matériellement avant d’être créé par une banque, et cette création repose sur une simple écriture comptable. « Quand on a compris ça, on a tout compris sur la monnaie », insistait Bernard Maris. Cette pédagogie limpide, associée à son style accessible, permettait de lever le voile sur des pratiques souvent perçues comme opaques.

Un discours en rupture avec les dogmes financiers

La façon dont Bernard Maris exposait la création monétaire s’opposait radicalement au discours dominant des économistes orthodoxes. Alors que les médias traditionnels présentent souvent la monnaie comme un bien limité, issu de la production ou de l’épargne, Maris insistait sur la nature artificielle et malléable de l’argent. Cette conception bousculait les idées reçues sur les contraintes budgétaires, notamment en matière de financement des politiques publiques.

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