OPINION • Depuis des décennies, l’inflation et la stagnation des salaires pèsent sur les classes populaires et moyennes en France. Ces ménages, bien qu’ils consacrent une grande partie de leur temps au travail, peinent à couvrir leurs besoins essentiels. Cette difficulté à « joindre les deux bouts » s’est cristallisée dans le débat public sous l’appellation de « crise », mais pour beaucoup, ce sentiment de précarité est un état permanent.
Simultanément, une autre partie de la population, privée d’emploi, est contrainte de survivre grâce au RSA ou aux allocations chômage, avec des moyens encore plus limités. Pourtant, ce sont précisément ces aides, modestes dans leur montant, qui sont souvent pointées du doigt par les médias comme responsables des difficultés budgétaires de l’État, alimentant ainsi les préjugés envers les plus précaires.
Les médias de milliardaires et la stigmatisation des chômeurs
Dans ce contexte, les grands médias appartenant à des milliardaires, comme BFMTV, CNews ou LCI, véhiculent des discours culpabilisants : « Les Français ne travaillent pas assez », « Les allocations encouragent l’oisiveté », ou encore « L’économie souffre d’un manque de productivité ». Ces affirmations, souvent infondées, servent de paravent pour détourner l’attention d’autres responsabilités.
Un exemple flagrant est apparu le 12 septembre 2022 sur LCI, lorsqu’une démonstration fallacieuse prétendait qu’un couple de chômeurs pouvait percevoir un revenu supérieur à celui d’un couple de travailleurs au SMIC. Or, les caisses d’assurance chômage ont rapidement démenti cette affirmation, précisant qu’il était impossible, dans le cas cité, de cumuler RSA et allocations chômage comme le prétendait cette démonstration biaisée. Malgré ces rectifications, le mal est fait : les idées reçues sur la « paresse des pauvres » continuent de circuler.
Le premier poste du budget : les aides aux entreprises
Dans l’ombre de ces débats, un autre chiffre reste étonnamment absent des plateaux télévisés : les 157 milliards d’euros d’aides publiques versées chaque année aux entreprises, soit près d’un tiers du budget de l’État. Cette somme faramineuse, révélée par des chercheurs du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), dépasse de loin les dépenses consacrées aux allocations chômage ou au RSA. Pourtant, ces aides bénéficient souvent à des multinationales et des grandes entreprises, bien loin des PME locales censées être le moteur de l’économie française.
Les gouvernements successifs, en réduisant les impôts et les cotisations sociales des entreprises pour soi-disant favoriser l’emploi, ont construit un véritable « État-providence caché ». En 1999, les aides publiques aux entreprises étaient trois fois moins élevées qu’en 2019, signe de la montée en puissance d’une politique économique favorisant les grands groupes sous prétexte de compétitivité.
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Malgré ces investissements massifs, les retombées économiques restent très limitées. Le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), par exemple, qui coûtait 18 milliards d’euros en 2016, n’a permis la création que d’environ 100 000 emplois par an, un chiffre dérisoire comparé aux attentes. Les grandes entreprises, principales bénéficiaires de ces aides, n’ont pas pour autant réduit leurs dividendes, bien au contraire : ces dernières années, les records de redistribution aux actionnaires se sont enchaînés.
Quant au Crédit d’Impôt Recherche (CIR), conçu pour stimuler l’innovation, son efficacité reste tout aussi contestable. Si les petites et moyennes entreprises (PME) ont pu en bénéficier, les multinationales accaparent la majorité de ces crédits, sans impact significatif sur l’attractivité industrielle du pays.
Une redistribution à sens unique
Dans un tel contexte, il devient évident que la rigueur budgétaire imposée aux ménages et aux services publics sert à compenser les largesses accordées au capital. Tandis que les travailleurs et les chômeurs sont stigmatisés comme responsables du déficit public, les multinationales bénéficient de niches fiscales et de subventions sans contreparties claires.
Cette politique accentue les inégalités : les plus modestes doivent se contenter d’aides insuffisantes pour survivre, tandis que les grandes entreprises continuent de prospérer grâce aux finances publiques. Ce double standard illustre un système profondément inégalitaire, où la richesse est aspirée vers le sommet au détriment de la majorité.
Une alternative nécessaire : transparence et justice sociale
Face à cette réalité, des voix s’élèvent pour réclamer plus de transparence et de justice fiscale. Pourquoi l’État continue-t-il de subventionner des entreprises déjà rentables sans exiger de résultats concrets ? Pourquoi les travailleurs et les précaires devraient-ils être les seuls à porter le poids des ajustements budgétaires ?
De toute évidence, ce n’est ni le « coût du travail« , ni les allocations telles que le RSA ou le chômage qui plombe l’économie française, mais bien celui du capital. Tant que cette réalité restera dissimulée derrière des discours fallacieux, les inégalités continueront de se creuser, et la majorité des Français continuera de subir une crise qui ne porte ce nom que pour les plus modestes.